De nombreux mammifères, en particulier les rongeurs, ont été et sont encore des réservoirs de virus et des agents de propagation de maladies humaines. Les chauves-souris n’échappent pas à la règle. Dans tous les continents, elles peuvent être porteuses de virus rabiques, transmissibles à l’homme, et des recommandations sont faites pour éviter d’entrer en contact avec elles. De plus, il est apparu récemment qu’elles sont à l’origine de la propagation de virus émergents redoutables pour l’espèce humaine. Elles ont joué un rôle dans la dissémination de deux paramyxovirus, le virus Hendra, identifié en Australie en 1994, et le virus Nipah, isolé en 1999, et responsable d’encéphalites en Malaisie et à Singapour. Mais surtout, il vient clairement d’être démontré par l’équipe d’Éric Leroy, de l’Institut de Recherche pour le Développement (IRD), qu’elles sont porteuses du virus Ebola en Afrique [3], comme ce dernier le rappelle dans une Dernière Heure de ce même numéro de m/s [2].

Enfin, peu de temps auparavant, deux autres groupes de chercheurs avaient apporté la preuve de la transmission, par les chauves-souris, du SRAS (severe acute respiratory syndrome) qui a été à l’origine de plus de 770 morts et dont les ravages économiques ont été estimés en billions de dollars. Lors de l’épidémie de SRAS survenue en Chine en 2002-2003, un coronavirus (SARS-CoV) avait été identifié. Les travaux se sont ensuite poursuivis pour en préciser l’origine. Elle fut d’abord attribuée à la civette (Viverra civetta) [4], ce qui conduisit à la destruction de plus de 10 000 de ces animaux, capturés et vendus sur les marchés des grandes villes chinoises (ainsi que des blaireaux et des ratons laveurs). Or, des chercheurs chinois et australiens ont montré récemment que la civette n’était pas le réservoir, mais seulement un vecteur d’amplification virale [5]. Orientant leur recherche vers les chauves-souris et étudiant plusieurs espèces, d’origines géographiques variées, ils ont, en effet, isolé, dans le genre Rhinolophus, un virus presque identique (92-94 %) au SARSCoV qu’ils ont appelé SL-CoV (SARS-like coronavirus). Les mêmes résultats ont été obtenus par une équipe de l’université de Hong Kong [6].

Comprendre et remédier ?

Comment comprendre cette convergence, notoire depuis une vingtaine d’années? Un point majeur est de bien cerner les modes de transmission. Parmi les espèces de chauves-souris frugivores, certaines mâchent leur nourriture pour en extraire sucres et composants énergétiques, puis recrachent le reste. L’ingestion de ces restes par d’autres animaux pourrait assurer la transmission du virus. Une transmission directe à l’homme a même été constatée au Bangladesh, où des fruits entamés et contaminés par le virus Nipah ont pu être incorporés dans la préparation de boissons sucrées [7].

Les chauves-souris produisent-elles des molécules de type interféron qui inactiveraient le virus ? Ont-elles un mode spécifique d’immunité innée? Ces animaux vivent aussi de façon grégaire, et on peut se demander si une agriculture intensive n’a pas, ici ou là, modifié leur environnement naturel et accru leur contact avec l’homme, et donc le risque viral pour celui-ci. Le Millenium Ecosystem Assessment a souligné l’interdépendance entre la santé publique et les ressources économiques et environnementales [9]. Des scientifiques se sont regroupés pour tenter d’instituer une « médecine conservatoire » qui cherche à allier les sciences de la santé (des hommes, des animaux et des plantes) avec les sciences écologiques afin d’harmoniser l’équilibre et le bien-être des populations, des communautés et des écosystèmes [10]. Mais, il importe avant tout de protéger les hommes. La piste des chauves-souris ayant été soulignée, une meilleure connaissance de leur répartition et de leurs réponses immunitaires devrait permettre de trouver des stratégies préventives pour limiter la dissémination des virus aux autres animaux et à l’homme. Des programmes d’information et de sensibilisation des populations sur les risques de contamination – surtout quand ces dernières les côtoient de près ou les consomment – sont sans doute les premières mesures à prendre, les plus réalistes et les plus efficaces.

Références :

  1. Neiweiler G. The biology of bats. New York : Oxford University Press, 2000.
  2. Leroy E, Kumulungui B, Pourrut X, et al. Fruits bats as reservoirs of Ebola virus. Nature 2005 ; 438 : 575-6.
  3. Leroy E, Pourrut X, Gonzalez JP. Les chauves-souris réservoirs du virus Ebola : le mystère se dissipe. Med Sci (Paris) 2006 ; 22 : 78-9.
  4. Guan Y, Zheng BJ, He YQ, et al. Isolation and characterization of viruses related to the SARS coronavirus from animals in southern China. Science 2003 ; 302 : 276-8.
  5. Li W, Shi Z, Yu M, et al. Bats are natural reservoirs of SARS-like coronaviruses. Science 2005 ; 310 : 676-9.
  6. Lau SK, Woo PCY, Li KSM, et al. Severe acute respiratory syndrome coronavirus-like virus in Chinese horseshoe bats. Proc Natl Acad Sci USA 2005 ; 102 : 14040-5.
  7. Harcourt BH. Genetic characterization of Nipah virus, Bangladesh, 2004. Emerg Infect Dis 2005 ; 11 : 1594-7.
  8. Dobson AP. What links bats to emerging infectious diseases ? Science 2005 ; 310 : 628-9.
  9. Millenium Ecosystem Assessment. Ecosystems and human well-being : a framework for assessment. Whashington DC : Island Press, 2003.
  10. Aguire AA, Ostfeld RS, Tabor GM. Ecological health in practice. In : Conservation medicine. Oxford : Oxford University Press, 2002.