Dans la vie sur terre, les Mammifères ont acquis la suprématie, mais dans les airs, ils n’ont pas su se mesurer avec succès aux Oiseaux. Des membranes permettant le vol plané, ou patagiums, se sont développées chez les Placentaires, mais ce n’est qu’avec les chauves-souris qu’est apparu le vol véritable.

L’aile de la chauve-souris est un organe efficace. Dans ce cas, c’est une membrane cutanée, et non des plumes, qui forme la surface alaire. Les Ptérosauriens (reptiles fossiles du secondaire) avaient acquis, eux aussi, une telle membrane. Celle de la chauve-souris, cependant, lui est de loin supérieure. Chez les Ptérosauriens, la membrane tout entière était supportée par un seul doigt allongé; il en résultait peu de manœuvrabilité pour l’aile, et toute blessure mettait hors circuit l’organe tout entier. Chez les chauves-souris, tout au contraire, quatre doigts sont utilisés pour le support de la membrane ; la flexibilité en est augmentée et les risques d’immobilisation par blessures diminués. En plus de ces ailes excellentes, les chauves-souris typiques trouvent une aide unique dans leur vol grâce à un système d’écholocation; des cris de hautes fréquences ou ultrasons, inaudibles pour l’homme mais non pas pour les chauves-souris, reviennent, après s’être réfléchis, aux oreilles sensibles de l’animal. Au crépuscule ou dans l’obscurité que choisissent habituellement les chauves-souris pour voler, elles peuvent ainsi éviter rapidement les obstacles. 

Figure : Hypothèse du développement de l’aile des chauves-souris ; en 1977, on a démontré, par le biais de ces différentes morphologies, comment on a pu passer de la membrane poilue aux cinq doigts griffus d’un insectivore arboricole (l’écureuil volant actuel), à une véritable aile dénudée d’une chauve-souris.

 Malgré cela, les chauves-souris ne forment qu’un élément peu important de la vie dans les airs et, si l’on fait abstraction du fait qu’elles se nourrissent d’Insectes en plein vol, elles n’ont jamais constitué une menace sérieuse à la domination des Oiseaux dans l’atmosphère. Il est difficile de déterminer quelles sont les raisons précises de cet échec des Mammifères dans ce domaine. Un seul facteur est clair. Les Oiseaux peuvent aussi bien marcher que voler; les chauves-souris peuvent voler, elles peuvent se suspendre la tête en bas pour se reposer, accrochées par leurs pattes postérieures. Mais, en dehors de cette position de repos, quand elles ne volent pas, elles sont impuissantes (mise à part certaines espèces parfaitement capables de marcher, même de gambader sur leurs proies). Ces différences sont notoirement dues aux différences qui existaient entre les ancêtres terrestres des deux groupes. Les Oiseaux proviennent de reptiles bipèdes; les membres antérieurs ont pu être transformés en ailes, sans venir gêner en rien les possibilités de marche de l’animal. Les Chiroptères, au contraire, proviennent de quadrupèdes primitifs insectivores, qui avaient besoin de leurs quatre pattes pour se déplacer au sol. Il en résulte que quand une chauve-souris se trouve par malheur au sol, elle est pratiquement incapable de reprendre le vol; le mieux qu’elle puisse faire est de se livrer à une série frénétique de mouvements désordonnés pour tenter de s’envoler. Une famille de grandes chauves-souris tropicales est devenue frugivore; nous ne savons presque rien de l’histoire évolutive de ce type. Cependant, la plupart des chauves-souris sont en fait des animaux insectivores et, à cet égard, proviennent directement des Mammifères placentaires primitifs dont le régime alimentaire était similaire.

Figure : Cette radiographie de Palaeochiropteryx, une petite chauve-souris insectivore, voletait au-dessus du lac de Messel (Allemagne). L’étude de son contenu stomacal a permis de montrer qu’elle se nourrissait principalement de papillons de nuit dont les écailles ont été identifiées grâce à l’emploi du microscope électronique à balayage ; on peut en déduire que, comme les homologues actuelles, cette chauve-souris détectait ses proies par écholocation, ce qui lui permettait de chasser dans la pénombre ou l’obscurité (cliché DuPont de Nemours).

Les restes de chauves-souris fossiles sont très pauvres (à l’exception des découvertes faites dans les dépôts des grottes du Pléistocène), comme on pouvait s’y attendre d’animaux aussi petits et fragiles. Nous avons la chance, cependant, que les dépôts de l’Éocène moyen, tant en Europe (site de Messel, Rheinessen, Allemagne) que dans les argiles de Green River (Wyoming, États-Unis), aient fourni d’excellents exemplaires de squelette de chauves-souris, y compris les doigts effilés. Chez ces espèces de l’Éocène, les ailes, à l’exception de quelques détails, avaient tout à fait atteint la perfection que l’on voit chez les formes actuelles. Nous sommes pourtant, d’un point de vue géologique, à une époque très précoce dans l’histoire des Mammifères, et ces découvertes de l’Éocène prouvent que l’évolution du groupe des Chiroptères s’était faite rapidement et qu’elle avait certainement commencé très tôt au cours du Paléocène. Mais nous n’avons aucun document certain sur les formes intermédiaires entre ces chauves-souris parfaites de l’Éocène et la souche d’insectivores placentaires dont elles proviennent. Des dépôts capables de préserver un organe aussi délicat que l’aile d’une chauve-souris ne sont pas communs. Faute de ces documents alaires, soit qu’ils ne se soient pas fossilisés, soit qu’ils aient vraiment manqué, il est à l’heure actuelle impossible de déterminer les ancêtres des chauves-souris parmi les restes variés, mais habituellement fragmentaires, des petits insectivores du début du Tertiaire.

Les chauves-souris constituent la très grande majorité des Mammifères récoltés à Messel (Allemagne). Représentées par quatre genres, elles sont toutes carnivores, ce qu’à confirmé la découverte d’écailles de papillons de nuit dans l’estomac de l’une et de reste de Coléoptères dans celui d’autres qui ne dédaignaient pas non plus les papillons.