Bien qu’appartenant toutes à l’ordre des mammifères Chiroptères, les nombreuses espèces de chauves-souris diffèrent, certaines d’entre elles pouvant être le réservoir de virus (rage, Ebola, Hendra, Nipah, syndrome respiratoire aigu sévère…) qu’elles transmettent à l’homme [1], d’autres étant au contraire la proie d’agents pathogènes menaçant leur survie. Une série d’articles publiés en août apportent des données récentes à l’appui de ces deux allégations. Les morsures par les chauves-souris contaminées sont désormais la cause principale de l’infection de l’homme par le virus de la rage sur le continent américain. 

Sur ce thème, un groupe de chercheurs s’est intéressé à caractériser l’expansion du virus de la rage parmi 23 espèces de chauves-souris aux États-Unis, pour comprendre l’influence de leurs origines géographiques, de leurs espèces et des séquences virales sur la transmission animale [2]. Il existe de multiples souches de virus, dont chacune est presque strictement confinée à une seule espèce de chauve-souris. Chaque souche de virus évolue rapidement au cours de sa transmission. Le séquençage du gène de la nucléoprotéine pour 372 virus extraits des cerveaux infectés montre effectivement qu’une souche spécifique est transmise préférentiellement à son espèce hôte ou à des espèces phylogénétiquement proches, et le plus souvent à l’intérieur d’une zone géographique. Cependant, il existe aussi de nombreuses transmissions (l’étude en a estimé 43) entre espèces relativement éloignées, qui correspondraient à des infections « sans issues », non transmissibles. Un fait remarquable est que la dispersion géographique des différentes espèces de chauves-souris contaminées est inégale, puisqu’elles peuvent être soit confinées à une région, soit présentes aux quatre points cardinaux des Etats-Unis.

Un second groupe a analysé l’évolution des séquences virales entre 2004 et 2005, cette fois à partir d’échantillons du système nerveux central de 29 patients décédés de la rage suite à la morsure de chauves-souris hématophages Desmodus rotundus, de vrais vampires, dans les régions de l’Amazone (Brésil et Équateur) [3]. Là aussi, les résultats démontrent que chez une même espèce de chauve-souris hôte, le virus évolue différemment et rapidement dans le temps et dans l’espace pour former des souches divergentes spécifiques à différentes régions entre les côtes atlantique et pacifique.

Loin de ces travaux sur des espèces « menaçantes » pour l’homme, une autre étude collaborative a porté sur une maladie émergente depuis 2006 qui touche au moins sept espèces de chauves-souris dans les régions nord-est des État-Unis et au Canada [4]. Il s’agit du syndrome dit « du nez blanc » (white-nose syndrome, WNS) associé à l’apparition d’un anneau blanc autour du nez et dû au champignon Geomyces destructans. Celui-ci infecte notamment la petite Myotis lucifugus brune, considérée en tant qu’insectivore comme utile à l’équilibre écologique. Le champignon pousse sur les tissus exposés des chauves- souris en cours d’hibernation, provoquant leur mort suite à un réveil prématuré et à une perte précoce de leur réserve en graisse. Les calculs basés sur le déclin des colonies en quatre ans prédisent une extinction de l’espèce M. lucifugus dans ces régions au cours des 16 prochaines années. Les auteurs souhaitent alarmer les autorités pour qu’une agence officielle assure le suivi des maladies émergentes chez les animaux sauvages. Rien n’est dit sur les stratégies qui pourraient être instaurées pour juguler la maladie. En outre, on ignore si le WNS a été observé chez des espèces de chauves-souris contaminées par des virus dangereux pour l’homme… Ainsi pourrait survenir un moyen « naturel » qui éliminerait les porteurs de virus, mais ce n’est sûrement pas si simple…

Références :

  1. Labie D, Gilgenkrantz, S. Med Sci (Paris) 2006 ; 22 : 75-7.
  2. Streicker DG, et al. Science 2010 ; 329 : 676-9.
  3. Castilho JG, et al. Virus Res 2010 (sous-presse).
  4. Frick WF, et al. Science 2010 ; 329 : 679-82.


Source : Danièle Kerbiriou-Nabias, Les chauves-souris, menaçantes mais aussi menacées…, M/S n° 10, vol. 26, octobre 2010