Cette étude évalue la prévalence et la densité parasitaire des hémoparasites chez 440 chauves-souris appartenant à 14 espèces, et collectées sur 5 sites répartis dans différents milieux bioclimatiques de Madagascar. 93 (21%) chauves-souris se sont révélées positives à l’examen microscopique d’un frottis sanguin, avec par ordre de fréquence Haemoproteidae (15,7% des 440 chauves-souris), microfilaires (7,0%) et Trypanosoma (0,7%). Ces 93 chauves-souris appartiennent à seulement 4 espèces; et 92 d’entre elles (99%) appartiennent à la famille des Vespertilionidae. Ces quatre espèces présentant des parasites sont endémiques de la région malgache : Miniopterus manavi pour Haemoproteidae (38% des 129 inpidus), microfilaires (23%) et Trypanosoma (2%); Myotis goudoti pour Haemoproteidae (24% des 68 inpidus) et microfilaires (1%); Miniopterus gleni pour Haemoproteidae (23% des 13 inpidus); et Triaenops furculus pour Haemoproteidae (4% des 28 inpidus). Le portage parasitaire n’est pas lié au sexe des chauves-souris. Chez Miniopterus manavi, les inpidus les plus lourds ont une prévalence de microfilaires nettement supérieure; et parmi les inpidus parasités, les plus lourds sont ceux qui ont la plus forte charge microfilarienne. Dix espèces de chauve-souris (avec 202 individus examinés) se sont révélées négatives à l’examen microscopique des hémoparasites. Cette étude est la première à mettre en évidence des hémoparasites chez les chauves-souris malgaches; elle soulève nombre de questions relatives à la distribution de ces parasites par espèces et familles de chauve-souris, à leur pathogénicité, et à leur mode de transmission vectorielle.

Les espèces de chauve-souris correspondent à près de 20% des espèces de mammifères. Elles appartiennent à l’ordre des Chiroptera (du grec cheiros : main et pteros : aile). On distingue deux sous-ordres : les Megachiroptera, de taille moyenne à grande, à yeux relativement gros, principalement frugivores; et les Microchiroptera, de taille petite à moyenne, à yeux relativement petits mais à système d’écholocation très performant, mangeant en plein vol une grande variété d’arthropodes.

Les Microchiroptera sont beaucoup plus hétérogènes que les Megachiroptera sur le plan systématique : on en comptabilise 17 familles pour le monde versus 1 seule (Pteropodidae) pour les Megachiroptera.

On distingue trois types de lieux de repos pour les chauves-souris : les arbres, les grottes et rochers, et les habitations humaines. A Madagascar, les habitats privilégiés sont les grottes (ex : Ankarana, Bemaraha, Namoroka, Sarodrano) et les forêts. On s’accorde à l’heure actuelle sur la présence à Madagascar de 7 familles regroupant 30 espèces réparties en 17 genres. Dix-neuf espèces ayant un statut d’endémiques ont des affinités africaines (10 espèces), asiatiques (6) ou incertaines (3). Les espèces non endémiques sont essentiellement d’origine africaine.

Les auteurs ayant travaillé sur les hémoparasites de chauve-souris s’accordent sur le caractère partiel de nos connaissances dans ce domaine. Les principaux parasites déjà observés dans le sang des chauves-souris sont les suivants :

  • Hepatocystis, Plasmodium, Polychromophilus, Bioccala, Dionisia, Biguetiella, sont des genres de la famille des Haemoproteidae, classe des Haemosporida, et Babesia, genre de la famille des Babesiidae, ordre des Piroplasmida; tous ces parasites appartiennent aux Protozoaires Apicomplexa;
  • microfilaires, stades embryonnaires de filaires, vivant libres dans le sang;
  • Trypanosoma, Protozoaires Euglénobiontes, flagellés, libres dans le sang.
  • A notre connaissance, une seule étude s’est intéressée aux hémoparasites de chauve-souris à Madagascar. Cinquante Tadarida (Chaerophon) pumila (famille des Molossidae) ont été prélevées en juillet 1987 et janvier 1988 à Antatabe, vers Anjiro (approximativement à 45 km à vol d’oiseau à l’Est d’Antananarivo). Les frottis sanguins, colorés au Giemsa, examinés (selon une méthode et avec une sensibilité non précisées) n’ont révélé aucun parasite sanguin (filaires, Plasmodium,…)”.

Matériel & Méthodes

Cette étude s’est déroulée de novembre 2001 à mai 2003. Les chauves-souris ont été capturées dans des sites naturels où elles sont abondantes. Cette collecte a été organisée au cours de plusieurs missions d’inventaire de la faune malgache, organisées conjointement par le World Wildlife Fund for Nature (WWF) et l’Institut Pasteur de Madagascar (IPM). Les sites de captures, au nombre de 5, sont principalement localisés dans l’Ouest du pays et à faible altitude (≤ 200 m). L’identification des espèces de chauve-souris a été réalisée en suivant la nomenclature et la classification indiquée dans Eger & Mitchell. Des filets à oiseaux ou des pièges-harpes ont été mis en place en fin d’après-midi dans le sous-bois ou au débouché de grottes, à proximité constante d’un spécialiste du piégeage.

Le prélèvement sanguin a été pratiqué au niveau du coeur, parfois en intracardiaque avec une seringue à insuline. Ces animaux ont été sacrifiés dans le cadre d’un projet différent. Un frottis sanguin a été réalisé en duplicates pour chaque chauve-souris, à partir d’une goutte de sang non calibrée. Les lames ont été séchées à l’air libre, fixées au méthanol, et colorées selon le procédé rapide RAL 555 (kit réactif RAL, Bordeaux, Technopolis, France). Chaque lame a été examinée au microscope selon la procédure de Raharimanga et al. : au grossissement 100, la lame est examinée pendant 5 minutes, puis au grossissement 1000, la lame est examinée pendant 20 minutes.

Pour les parasites unicellulaires, la parasitémie est exprimée sur la base de 40 000 érythrocytes examinés et 6.106 érythrocytes /μl de sang. Pour les microfilaires, la parasitémie est exprimée en 4 classes réparties de la façon suivante : classe 0 pour 0 microfilaire pour 100 champs microscopiques au grossissement 100, classe + pour 1 à 9 microfilaires; classe ++ pour 10 à 24 microfilaires; classe +++ pour ≥25 microfilaires. La densité seuil entre les classes + et ++ a été estimée à 2 500 microfilaires par μl de sang, et entre les classes ++ et +++ à 6 250.

L’infection à Haemoproteidae se caractérise par la présence du parasite à l’intérieur des érythrocytes. Une filariose se caractérise par la présence de microfilaires, stade larvaire libre dans le sang. L’infection à Trypanosoma se caractérise par la présence du parasite sous sa forme flagellée dans la circulation sanguine.

Résultats

Au total, 452 spécimens sanguins de chauve-souris ont été collectés. Douze se sont révélés illisibles; les présents résultats portent donc sur 440 chauves-souris. Ces chauves-souris appartiennent à deux sous-ordres, 5 familles, 11 genres et 14 espèces. L’examen microscopique des frottis a révélé 93 chauves-souris sur 440 (21%) parasitées par au moins un hémoparasite, avec par ordre de fréquence 69 Haemoproteidae (15,7% des 440 chauves-souris), 31 microfilaires (7,0%) toujours très courtes, et 3 Trypanosoma (0,7%). Sur ces 93 chauves-souris, 92 (99%) appartiennent à la famille des Vespertilionidae.

Ce parasitisme est réparti de façon très hétérogène entre espèces de chauve-souris. Seules quatre espèces ont été observées avec au moins un parasite. Miniopterus manavi est l’espèce la plus parasitée et la seule à héberger les trois groupes de parasites Haemoproteidae, microfilaires et Trypanosoma. Myotis goudoti est une espèce parasitée par Haemoproteidae et microfilaires. Quant à Miniopterus gleni et Triaenops furculus, elles sont parasitées uniquement par Haemoproteidae. Ces quatre espèces présentant des parasites sont endémiques de la région malgache (Madagascar et Comores).

Les associations parasitaires paraissent distribuées au hasard, sans associations ni exclusions préférentielles.

Parasitisme chez Miniopterus manavi

Cette espèce présente les plus fortes prévalences parasitaires de toutes les chauves-souris observées dans cette étude. La répartition des individus parasités entre localités et dates de collectes montre une prévalence en Haemoproteidae et en microfilaires supérieures dans le Bemaraha par rapport à Namoroka (p=0,042 par test exact de Fischer pour Haemoproteidae et p<10-4 pour les microfilaires). Aucune différence significative n’a été observée entre les sexes des chauves-souris (p=0,36 par test exact de Fischer pour Haemoproteidae et p=0,67 pour microfilaires). Sur les 6 femelles observées gravides (toutes à Namoroka les 14 et 15 octobre 2002) deux individus se sont avérés porteurs d’Haemoproteidae à des densités de 1650 et 1950/μl de sang, toutes sont négatives en microfilaires.

Le poids moyen des individus de cette espèce est 5,21 g (n=114). Le portage d’Haemoproteidae n’est pas significativement lié au poids : le poids moyen des individus négatifs en Haemoproteidae est 5,20 g (n=69), celui des positifs est 5,21 g (n=45; p=0,81 par test U de Mann-Whitney), et celui des plus fortes charges parasitaires est 5,04 g (n=17 pour les individus avec ≤ 3000/μl ; p=0,59 par test U de Mann-Whitney par rapport aux 80 individus négatifs).

A l’inverse, il apparaît que le portage de microfilaires est associé à un poids supérieur et que les individus avec les plus fortes charges parasitaires sont les plus lourds : le poids moyen des individus négatifs en microfilaires est 4,94 g (n=85), celui des positifs est 5,98 g (n=29; p<10-4 par test U de Mann-Whitney). Les individus positifs se répartissent de la façon suivante : ceux de la classe + pèsent en moyenne 5,43 g (n=9), ceux de la classe ++ 5,88 g (n=5) et ceux de la classe +++ 6,35 g (n=15) (H de Kruskall-Wallis = 23,36; dll=3; p<10-4). Les 49 individus avec au moins un Haemoproteidae à l’examen microscopique présentent une densité parasitaire (/μl de sang) moyenne de 4 728, médiane de 1 500, et maximale de 37 440. Les 30 individus avec au moins un microfilaire à l’examen microscopique se répartissent en 10 inpidus pour la classe +, 5 pour la classe ++ et 15 pour la classe +++. Les 3 individus avec au moins un Trypanosoma à l’examenmicroscopique présentent des parasitémies (/μl de sang) de 150, 720 et 2 100.

Parasitisme chez Myotis goudoti

Cette espèce de chauve-souris semble moins parasitée que Miniopterus manavi (p=0,055 par test exact de Fischer pour la prévalence en Haemoproteidae, soit une valeur proche du seuil de signification).

La répartition des individus de Myotis goudoti parasités entre localités et dates de collectes d’une part, et sexes d’autre part ne présente pas de différence significative (p>0,99 par test exact de Fischer en comparant la prévalence en Haemoproteidae entre Namoroka et Bemaraha; p=0,77 par test exact de Fischer en comparant la prévalence en Haemoproteidae entre mâles et femelles). Aucune femelle de cette espèce de chauve-souris n’a été capturée gravide.

Le poids moyen des individus de cette espèce est 5,51 g (n=54), (extrêmes : 4,1-9,9). Le portage d’Haemoproteidae n’est pas associé à une variation de poids (5,54 g pour les 40 individus négatifs versus 5,44 g pour les 14 individus positifs; p=0,29 par test U de Mann-Whitney). A l’inverse, le portage de microfilaires (comme chez Miniopterus manavi) semble lié à un poids important : la seule chauve-souris positive en microfilaires à l’examen microscopique pesait 8,6 g, soit le poids maximum observé à une seule exception près (p=0,10 par test U de Mann-Whitney, n=54); cette chauve-souris ayant une microfilarémie relativement faible (classe +).

Les 16 individus avec au moins un Haemoproteidae à l’examen microscopique présentent une densité parasitaire (/μl de sang) moyenne de 1 320, médiane de 675, et maximale de 7 200. La densité parasitaire chez cette espèce de chauve-souris est statistiquement différente de celle de M. manavi (p= 0,048 par le test U de Mann-Whitney pour les 65 individus des deux espèces avec au moins un parasite).

Parasitisme chez les autres espèces de chauve-souris

La prévalence d’Haemoproteidae chez Miniopterus gleni est assez importante (23%). Elle n’est pas statistiquement différente de celle observée chez M. manavi (p=0,37 par test exact de Fischer) ni chez M. goudoti (p>0,99). Les 3 Miniopterus gleni parasités ont été collectés le 8 octobre 2002 dans le tsingy de Namoroka (1 individu) et le 18 mai 2003 dans le tsingy de l’Ankarana (2 individus) avec des densités parasitaires (/μl de sang) respectives de 150, 750 et 1 050.

La prévalence d’Haemoproteidae chez Triaenops furculus est assez faible (3,6%). Elle est statistiquement différente de celle observée chez M. manavi (p=0,0002 par test exact de Fischer) etchezM. goudoti (p=0,042). Cette espèce de Microchiroptera est la seule non-Vespertilionidae à avoir été observée parasitée, chez un seul individu femelle capturé le 7 mai 2002 à Toliara (Grotte d’Ambanilia-3,7 km SSE Sarodrano) et uniquement par Haemoproteidae à une densité de 1750 /μl de sang.

Discussion

Cette étude aborde le vaste domaine des hémoparasites dans l’ordre des Chiroptera. Comme on aurait pu s’en douter initialement, cette première approche exploratoire se heurte à la foisonnante biodiversité malgache et pose peut-être plus de questions qu’elle n’apporte de réponse. Les faits marquants sont les suivants :

  • existence d’une répartition hétérogène des hémoparasites entre espèces et surtout entre familles de chauves-souris;
  • l’existence d’une relation positive entre portage de microfilaires et poids.

Parmi les 93 chauves-souris trouvées avec au moins un hémoparasite, 92 appartiennent à la famille des Vespertilionidae. Y a-t-il une caractéristique de la biologie de cette famille qui expliquerait à la fois l’abondance des parasites et leur biodiversité spécifique ? Dans certaines localités, comme dans l’Ankarana, les dortoirs de Miniopterus manaviM. gleniMormopterus jugularisMyotis goudoti, Triaenops furculus, T. rufus, Rousettus madagascariensis et Hipposideros commersoni sont observés dans la même grotte. En principe donc, le risque d’exposition aux vecteurs de parasites sanguins est similaire pour toutes ces espèces. Peut-être la position préférentielle des Vespertilionidae à proximité de l’ouverture de la grotte se traduit-elle en termes de sur-exposition aux vecteurs (au moins par rapport aux Hipposiderosidae dont les dortoirs sont observés plus profondément dans la grotte)? La famille des Vespertilionidae est peu exigeante en matière de dortoirs, dont la taille va de petite (quelques individus) jusqu’à très grande (plus 5 000 individus), rencontrés dans les arbres morts en forêt, dans les abris sous roches ou dans les grottes. Les individus de cette famille, quel que soit le lieu de collecte à Madagascar, sont fortement parasités. Il est donc raisonnable de suggérer une susceptibilité particulière de cette famille aux hémoparasites, au moins dans le contexte malgache. Cette susceptibilité est-elle liée à une alimentation particulière chez cette famille ?

Chez Miniopterus manavi (de façon certaine)et chez Myotis goudoti (de façon probable) les individus avec des microfilaires sont plus lourds, et l’importance de la charge en microfilaires est fonction de l’importance du surpoids. A notre connaissance, cette observation originale est sans équivalent dans le domaine des interactions filaires / chauves-souris. L’accroissement du poids des chauves-souris est-il lié à l’âge? Ceci irait dans le sens d’une augmentation parallèle de la masse corporelle et de l’exposition à l’infection filarienne.

Cette hypothèse semble envisageable pour les jeunes adultes, mais ne semble pas compatible avec ce que l’on connaît de la biologie des chauves-souris, plutôt stables pour la masse corporelle à l’âge adulte. Cette question reste manifestement ouverte.

Au-delà de cet inventaire des hémoparasites des chauves-souris de Madagascar, essentiellement au niveau des familles de parasites, il reste à préciser le statut spécifique des parasites observés, et, dans la mesure du possible, le mode de transmission très certainement vectoriel, dans le contexte de Madagascar.

En conclusion, cette étude s’insère dans un programme de veille microbiologique initié au sein du Réseau International des Instituts Pasteur pour comprendre les mécanismes qui prévalent à l’apparition d’un contexte épidémique lié à un agent pathogène et à ses interactions avec des hôtes habituels ou exceptionnels dans des environnements particuliers.


Réf. : Arch Inst Pasteur de Madagascar 2003; 69 (1&2) : 70-76, Hémoparasites des chauves-souris à Madagascar, Raharimanga V, Ariey F, Cardiff SG, Goodman SM, Tall A, Rousset D, Robert V.

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