C’est la seule autre famille de chauves-souris à feuille nasale; on les appelle Rhinolophes américains et elles sont répandues entre le sud est des États-Unis et le nord de l’Argentine, ainsi que dans la plupart des Antilles. On compte près de 150 espèces réparties entre 50 genres et 7 sous-familles.

La feuille nasale n’atteint pas la complexité caractéristique des deux familles précédentes et se compose d’une plaque surmontée d’une lame pointue qui est relevée au-dessus de la face quand la chauve-souris est active. Chez quelques espèces, la feuille est petite ou fait défaut. L’oreille a toujours un tragus. Les3 genres de la sous-famille des Chilonycterinae n’ont pas de feuille nasale, mais les Mormoops portent des excroissances sur le menton et des bourrelets charnus sur la lèvre inférieure; le museau est ridé. Chilonycterisa une sorte de feuille cutanée sur la lèvre inférieure et des touffes de poils semblables à une moustache sur la lèvre supérieure. Enfin, Pteronotusa la région dorsale complètement nue entre l’épaule et la queue. Dans ce dernier genre, les ailes s’insèrent presque au milieu du dos, qui semble nu, quoique au-dessous l’arrière du corps soit velu. Tous les Chilonycterinae sont insectivores.

La sous-famille des Phyllostomatidae compte 11 genres et près de 30espèces qui ont toutes une feuille nasale avec des lames verticales, appelées lances, bien développées. C’est évidemment un membre de ce groupe – peut-être Lonchorhina – qui servit de modèle pour le dieu chauve-souris qui se trouve dans le panthéon des anciens Zapothèques (Peuple indien du Mexique, apparu vers le 4ème siècle qui s’établit dans la partie méridionale de l’état d’Oaxaca. Agriculteurs sédentaires, les Zapothèques eurent une religion centrée sur le culte de la mort, comme en témoignent les vestiges de leurs arts. Ils furent sans doute soumis par les Aztèques. Site principal des Zapothèques : Monte Albán), dans le sud du Mexique. Il est représenté avec une feuille nasale munie d’une lance très proéminente, mais sa denture ne ressemble pas à celle d’une chauve-souris, car sa bouche renferme des incisives humaines. Les 3 espèces de Macrotus ont de longues oreilles analogues à celle d’un lapin, et Lonchorhina aurita possède une étroite feuille nasale, très longue et verticale. Macrophyllum ,la chauve-souris à longues pattes, largement répandues en Amérique tropicale, se distingue par la taille de sa queue et de ses membres, tandis que les espèces des genres Mimon et Phyllostomus ont, avec quelques autres, une queue très courte; leur patagium interfémoral, ou uropatagium, est maintenu par les éperons calcanéens. Certains membres de cette sous-famille sont insectivores, d’autres mangent aussi des fruits et il y a quelques carnivores. Huey a observé une colonie d’environ 500 Macrotus californicus dormant sur une corniche dans un puits de mine abandonné en Californie; l’endroit était assez éclairé. Il trouva beaucoup de débris de gros Insectes – papillon nocturnes, OrthoptèresColéoptères et autres – avec des feuilles de saule, et il montra néanmoins que les chauves-souris étaient exclusivement insectivores. Il est possible qu’elles aient pris une partie de leurs aliments – les sauterelles et les cigales, qui sont des Insectes diurnes – sur les feuilles de saule où ces animaux dormaient et qu’elles aient emporté la feuille au dortoir pour manger l’Insecte. Les chauves-souris du genre Micronycteris sont frugivores. Goodwin et Greenhall ont observé que M. megalotis, de Trinidad, aime les petits goyaves mûres et qu’elle cueille les fruits en faisant du vol sur place avant de les emporter sur un arbre voisin pour les déguster. Les Phyllostomus et le faux Vampire américain, Vampyrum, sont omnivores; ils mangent parfois des fruits et des Insectes mais sont en grandes parties carnivores comme Megaderma lyra de l’Ancien Monde, qui se nourrit de petits Oiseaux et Mammifères, y compris d’autres espèces de chauves-souris. Goodwin et Greenhall ont constaté que malgré ses préférences carnivores P. hastatus mange aussi des graines de sapucaia. Sociable, cette chauve-souris quitte son dortoir en groupe qui réunissent jusqu’à une centaine d’individus pour aller visiter les arbres. Quand les graines sont mûres, beaucoup volent au crépuscule autour des bosquets de cette essence en criant, arrachent les graines pour manger leur funicule charnu et repartent. Goodwin et Greenhall ont trouvé que cette espèce était hardie et même agressive, car à plusieurs reprises un sujet de forte taille avait délibérément quitté un groupe et, après être descendu le long du mur de la grotte la tête la première, avait mordu la main gantée de l’un d’eux. En captivité, elle n’hésite pas à tuer et à manger des autres espèces de chauves-souris que l’on introduit dans sa cage; toutefois elle semble mal à l’aise en présence de Desmodus. Celui-ci est le véritable Vampire, de taille beaucoup plus faible. Enfin, on trouve que T. cirrhosus, du genre voisin Trachops, dont les lèvres et le menton portent des excroissances charnues, se nourrissait de geckos, et peut-être d’autres lézards.

On éleva des Phyllostomus hastatus et leur offrit des bananes mûres tous les jours ainsi que de petits animaux, et on nota que les fruits furent entamés sauf au cours d’une nuit sur les soixante-huit que dura l’expérience. Quand il n’y avait pas de rongeurs, d’Oiseaux ou de chauves-souris à leur disposition, elles mangeaient davantage de fruits. La nuit où trois souris furent dévorées, les bananes restèrent intactes (L.H. Dunn, Observations on the carnivores habits of the spearnosed bats Phyllostomus panamensis, Alen in Panama, 1933). Pendant la période d’observations, les Phyllostomus tuèrent et mangèrent 25 souris, 13 chauves-souris et 3 Oiseaux. Après avoir saisi la tête de leur victime, elles lui écrasaient le crâne, puis maintenaient la proie entre leurs poignets et leurs pouces pour la manger. Elles ne laissaient à peu près rien, sauf les grandes plumes des ailes et de la queue des Oiseaux, et parfois les dents et la queue des petits Mammifères. Vampyrum spectrum capture, tient et mange ses aliments de la même façon; à l’époque où Linné le décrivit, on croyait qu’il se nourrissait de sang, d’où le nom qui lui fut attribué à tort. C’est une grande bête dont l’envergure atteint 75centimètres. Il a de longues oreilles mais pas de queue. En captivité, Vampyruma mangé des fruits, mais il semble qu’en nature il soit exclusivement carnivore et se nourrisse d’Oiseaux et de petits Mammifères. Certains sujets gardés en cage mangeait quatre souris par jour; ces auteurs disent que Vampyrum boit de l’eau et s’apprivoise rapidement. Ils ajoutent qu’il appartient au folklore de Trinidad et compte au nombre des fantômes qui se glissent entre les branches des bombacacées. On croit là-bas que les Vampires sont de petits enfants morts avant d’avoir été baptisés. On dit que leurs pieds sont retournés, qu’ils sont nus et portent de longues robes blanches et des grands chapeaux; enfin, on ajoute qu’ils n’ont ni tête ni sexe. Certains Phyllostomatidae se réunissent en grand nombre pour dormir, mais la plupart vivent en petits groupes dans les grottes, les arbres creux et sous les toits. Quelques-uns semblent supporter facilement une luminosité assez intense dans leur retraite : les chauves-souris observées par Huey vivaient dans la pénombre. Les Phyllostomus de Dunn étaient dans une grotte, mais on a capturé un représentant de ce genre accroché à une branche d’arbre qui se trouvait à l’ombre dans une forêt du Brésil.

La sous-famille des Glossophaginae compte une trentaine d’espèces pour une douzaine de genres, toutes nectarivores. En effet, ces chauves-souris mangent le nectar, le jus et la pulpe des fruits mûrs, mais certaines espèces comme Glossphaga soricina prennent aussi des Insectes. La plupart vivent dan des cavernes, parfois en très grand nombre, et quelques-unes se réfugient sous les toits des bâtiments, mais il faut dire que les mœurs de plusieurs sont mal connues, car on en a collecté en nombre très restreint. Toutes les espèces ont un museau pointu, et chez certaines comme la chauve-souris à long nez, Choeronycteris, d’Amérique centrale, il est très long et mince. La feuille nasale qui se trouve à l’extrémité est de taille réduite avec une lance verticale pointé en avant; il est possible qu’elle ait une fonction tactile particulièrement avantageuse chez des animaux qui se nourrissent dans les fleurs. La langue, fort étroite et longue, est extensible : sa surface porte de longues papilles séliformes qui, chez certaines espèces, sont concentrées vers la pointe et forment une sorte brosse. Tous les Glossophaginae sont de faible taille, ont de petites oreilles et un patagium interfémoral très étroit, car dans certains genres la queue fait défaut et chez les autres elle est rudimentaire. Ces bestioles volent sur place devant les fleurs qu’elles visitent, et elles les explorent avec leur langue, qui peut être déroulée à une distance surprenante. Ainsi, chez Anoura geoffroyi, sa longueur dépasse celle de la tête et du corps ensemble et est donc comparable à la trompe d’un papillon ou à la langue d’un caméléon. On dit que les Glossophaginae se nourrissent aussi de pollen, mais l’ingestion de celui-ci est peut-être accidentelle et on leur prête le rôle de pollinisateurs de l’agave, de la gourde, et d’autres plantes dont les fleurs restent ouvertes la nuit. Glossophaga et Musonycteris fréquentent aussi les fleurs des bananiers. On a montré que les Glossophaginae ont les muscles de la gorge profondément modifiés pour pouvoir étendre et rétracter leur grande langue. En revanche, les muscles masticateurs sont faible et petits, parce que la nature des aliments rend leur développement inutile.

La sous-famille des Carolliinae compte une demi-douzaine d’espèces, dont 4 dans le genre Carollia, répandu dans une grande partie de l’Amérique centrale et du Sud. De taille moyenne, ces robustes Chiroptères ont une feuille nasale bien apparente et des verrues sur la lèvre inférieure. Ils vivent en colonies parfois très populeuses dans les grottes, les arbres creux et autres abris, dont ils sortent au crépuscule pour manger des fruits. A Trinidad, selon Goodwin et Greenhall, C. perspicillata mange une grande variété de fruits. Si le fruit est trop grand, l’animal le laisse sur place et croque dedans, mais s’il est petit il l’emporte sur un perchoir temporaire pour l’ingérer. Ces chauves-souris prennent aussi des Insectes et viennent près des moustiquaires, car on y trouve des restes d’Insectes. Elles gaspillent beaucoup de nourriture mais elles jouent un rôle très important pour la propagation naturelle de nombreuses espèces.

Il n’y a que 5 ou 6 espèces de Sturnirinae, réparties entre les genres Sturnira et Corvira, qui a une espèce. De taille moyenne, elles ont une feuille nasale bien développées et une lèvre inférieure verruqueuse. Il n’y a pas de queue; le patagium interfémoral, très réduit, ne forme plus qu’une frange étroite le long du bord interne des pattes; patagium et pattes sont velus. Sur chaque épaule, les mâles ont une zone glandulaire couverte de touffes de poils clairs, ces glandes émettent une forte odeur musquée. Les Sturnirinae ressemblent donc aux chauves-souris à épaules jaunes. Comme leurs homologues de l’Ancien Monde, elles se nourrissent de fruits et de leur jus.

La sous-famille des Stenoderminae est bien plus importante, puisque l’on y dénombre 40 espèces réparties entre 18 genres; ce sont les chauves-souris frugivores du Nouveau Monde. Petites ou grande, elles ont un aspect robuste, un patagium interfémoral étroit mais pas de queue. Le museau est court et large, et la feuille nasale possède une lame dans presque tous les genres. La plupart des espèces ont de chaque côté de la face des lignes longitudinales claires qui atteignent les oreilles; beaucoup ont en outre une zone pâle au milieu du dos. Enfin, dans plusieurs genres comme Uroderma, Vampyrodes et Chiroderma, il y a une autre zébrure bien visible au-dessous de l’œil, et chez Centurio une tâche sur l’épaule. Cependant, ce sont les deux espèces du genre Ectophylla qui présentent la coloration la plus inhabituelle; la fourrure d’E. alba est blanche sauf un anneau gris autour de chaque œil, le bord des oreilles, le menton, la feuille nasale et la peau entourant le squelette des ailes, qui sont d’un jaune brillant. La seconde espèce, plus colorée, est d’un blanc nuancé du brun terne. Comme d’autres espèces de Stenoderminae, les Ectophylla ont été rarement collectées et les principaux musées n’en possèdent que fort peu d’exemplaires. Certains Stenoderminae vivent en grandes colonies, mais la plupart forment de petites sociétés. Beaucoup dorment dans les grottes, les arbres creux, les maisons, mais en général ils recherchent moins les endroits sombres que de nombreux Chiroptères, et on peut les voir accrochés aux branches des buissons, sous les grandes feuilles ou le rebord des toits. Les membres des espèces Uroderma et Artibeus, les chauves-souris campeuses, se préparent un abri naturel : Uroderma découpe les feuilles de certains palmiers de telle sorte que la moitié du limbe se replie sur l’autre et ménage une cachette; au moins une des espèces d‘Artibeus à la même habitude. Presque tous les Stenoderminae mangent des fruits mous, dont ils avalent seulement la pulpe; comme les chauves-souris frugivores de l’Ancien Monde, ils mâchent le reste pour en extraire le jus, puis crachent les débris. On a observé cette manière de faire chez une espèce d‘Artibeus, mais on estime qu’elle doit être générale. Le gosier de Centurio, par exemple, est si étroit que seuls des liquides ou une pulpe semi-liquide peuvent le traverser. Certaines espèces emportent les fruits de petite taille pour les déglutir ailleurs, et elles jouent un rôle non négligeable pour la dissémination de leurs graines. Aux Antilles, les Artibeus font beaucoup de dégâts dans les vergers, là où ils abondent. Goodwin et Greenhall signalent que la fourrure de ces Chiroptères est souvent maculée de jus de fruits, car ils s’introduisent dans les mangues pour s’en nourrir. Ils ont vu quatre femelles vert jaunâtre portant chacune un petit de même couleur; tous avaient les poils teintés jusqu’à la racine. Ils disent aussi que ces chauves-souris font parfois tomber les mangues sur les toits de tôle, et que ce bombardement continuel empêche les gens de dormir, aussi est-on obligé de couper les manguiers du voisinage. Les 4 espèces du genre Brachyphylla dont la feuille nasale, dépourvue de lame verticale, est beaucoup plus petite que celle des autres Stenoderminae, ont un régime insectivore, si l’on en juge par les débris d’Insectes trouvés dans le guano au-dessous d’un dortoir fréquenté par 2’500 B. cavernatum dans une maison abandonnée. Ce genre est propre à plusieurs îles des Antilles.

Photo : Face de Centurio senex, appelée communémement la chave-souris à treillage.

Centurio senex, dont on a reconnu deux espèces géographiques, est la plus étonnante des chauves-souris de cette famille. Elle a un museau très court; la mâchoire inférieure fait saillie et la peau de la face est extrêmement plissée, ce qui lui donne une expression bizarre à nos yeux, hideuse ou comique, selon les goûts de l’observateur. Ses oreilles sont droites, bien séparées; les plis semi-circulaires qui descendent au-dessous du menton sont recouverts de fourrure. Les ailes ont un patagium translucide entre les deuxième et troisième doigts et des bandes transversales sombre et claire entre les quatrième et cinquième doigts, et derrière ce dernier. C’est pourquoi on surnomme ces animaux chauves-souris à treillage. La peau de la face interne des lèvres est couverte de papilles que l’on suppose jouer le rôle de filtre quand l’animal boit le jus de fruits, en effet, le diamètre du gosier est inférieur à 1.5 mm, si bien que rien – en dehors d’un liquide ou d’une fine bouillie – ne peut y passer. Les mâles ont la face externe encore plus ridée que celle des femelles, et ces dernières n’ont que des replis cutanés peu marqués sous le menton. Ces chauves-souris dorment isolément ou par deux ou trois, accrochés aux branches des grands arbres, et dans cette situation les mâles semblent avoir la tête sous les draps; en effet, d’après Goodwin et Greenhall, ils tirent la peau du menton sur leur face; le haut de la tête se trouve caché, ainsi que les oreilles, qui sont à plat. Une petite bosse sur le vertex (Partie du crâne comprise entre les oreilles) sert d’arrêt de porte et la peau ridée se tend à cet endroit. Chez certains sujets, la peau qui recouvre ainsi la face est diaphane et dépourvue de poils en deux points qui se trouvent au-dessus des yeux, si bien que l’animal doit distinguer la lumière et peut-être les objets même quand il a la face cachée. On a pu soulever cette peau et voir au travers des fenêtres la lumière, un doigt ou un crayon agités par derrière. Quand elle s’éveille, la chauve-souris se dévoile et son masque peaucier glisse pour se replier dans sa position ordinaire sous le menton; les deux fenêtres ressemblent alors à des bosses. Les grands lobes de peau qui se trouvent sur le menton des mâles et ne font point partie du masque contiennent probablement des glandes odorantes, car la tête exhale nettement une odeur musquée un peu semblable à celle du SkunksCenturio vole en zigzaguant d’une façon saccadée et ressemble à un grand papillon. Ces chauves-souris ont été trouvées en des lieux très éloignés les uns des autres de l’Amérique tropicale et leur aire de répartition s’étend probablement du Mexique au Venezuela, Trinidad et Tobago comprises. Dans un genre voisin, Ametrida, le museau est également court, mais il y a pas de protubérances faciales et la feuille nasale est petite; on ignore tout de la biologie de ces animaux que l’on rarement vu.

La sous-famille des Phyllonycterinae compte seulement 5 espèces, qui vivent dans une partie des Antilles et aux Bahamas. Elles ressemblent aux Glossophaginae parla longueur de leur museau et la forme de la langue, qui porte des papilles rétiformes tournées vers l’arrière; toutefois, leur feuille nasale rudimentaire se réduit à une zone glabre autour des narines. La queue, assez longue, dépasse le bord du patagium interfémoral, étroit. Une espèce de Phyllonycteris et les deux Erophylla dorment dans des grottes, parfois en groupes de plusieurs centaines d’individus, et elles vont manger des fruits et peut-être du nectar à la nuit tombée. P. poeyi servirait de proie à plusieurs espèces de serpents à Cuba; le Boa de Cuba, par exemple, attrape les chauves-souris quand elles passent par l’étroit orifice de leur caverne. Les autres espèces du genre sont très rares ou éteintes.