La plus vaste étude de surveillance active de la rage jamais réalisée chez des chauves-souris vient d’être menée par des chercheurs de l’Institut Pasteur et des chercheurs espagnols. Publiée demain dans PLoS ONE, elle a permis d’évaluer la dynamique de l’infection chez ces animaux réservoirs, avec des retombées utiles en santé publique. Elle confirme également l’existence d’un risque, bien que limité, de passage de virus rabiques des chauves-souris à l’homme.

La rage est une maladie systématiquement mortelle en l’absence de traitement, qui est à l’origine de quelque 50 000 décès annuels dans le monde, le plus souvent suite à une infection transmise par un chien enragé. Différents animaux domestiques ou sauvages peuvent transmettre les lyssavirus responsables de la maladie, dont les chauves-souris. Ces dernières sont en effet à l’origine de rares cas humains : quatre cas confirmés de rage suite à une morsure de chauve-souris, survenus en Finlande, en Ecosse, en Ukraine et en Russie, ont été décrits en Europe depuis 1985.

Il existe environ 1000 espèces de chauves-souris, qui représentent 20% des mammifères, et hébergent une diversité virale encore assez méconnue. Elles servent de réservoirs à nombre de virus émergents (Ebola, Hendra, Nipah…), d’où l’intérêt d’étudier de plus près les virus qui les infectent.

C’est l’objet de l’étude qui vient d’être menée par l’unité Dynamique des lyssavirus et adaptation à l’hôte à l’Institut Pasteur, dirigée par Hervé Bourhy, et l’équipe de Jordi Serra-Cobo, du département de Biologie animale de l’Université de Barcelone en Espagne.

Deux cohortes de chauve-souris insectivores de l’espèce Myotis myotis (voir photo), soit plus de 800 animaux au total, ont été suivies aux îles Baléares en Espagne sur une période de 12 ans. Par des techniques de captures-marquages-recaptures accompagnées de prélèvements et de baguages, et grâce à l’adaptation de modèles mathématiques de modélisation à ce suivi particulier, les chercheurs ont pu appréhender la dynamique de l’infection par un lyssavirus chez ces animaux.

Ils ont montré que les infections survenaient par vagues, dont la période variait dans le temps en fonction du taux d’individus présentant une immunité humorale. Ils ont pu calculer le temps – 5 jours en moyenne – durant lequel une chauve-souris infectée était contaminante. Enfin, ils ont démontré que l’infection par les lyssavirus ne provoquait pas de mortalité chez les chauves-souris, contrairement à ce qui survient chez les réservoirs animaux terrestres des virus rabiques (renards, chiens…).

« Ce point est important en terme de santé publique, dans la mesure où l’infection chez ces animaux ne provoque pas forcément de changements de comportement, comme cela a lieu chez le chien par exemple « , souligne Hervé Bourhy.  » Par ailleurs, même si nous confirmons le risque potentiel de passage à l’homme des lyssavirus de chauve-souris, nous montrons, du moins vis-à-vis de l’espèce étudiée, que ce risque est limité dans le temps, et qu’il ne persiste pas. La dynamique de l’infection chez les chauves-souris mise en évidence par notre étude conforte la décision prise en Europe de protéger ces animaux et de ne pas détruire les colonies dans lesquelles il y a de la rage. La seule mesure raisonnable aujourd’hui est, comme cela a été fait aux Baléares, d’interdire l’accès aux grottes abritant des chauve-souris susceptibles d’être infectées.« 

Aujourd’hui, l’équipe d’Hervé Bourhy, en collaboration avec une autre unité de l’Institut Pasteur et l’équipe de l’Université de Barcelone, vise à étudier les mécanismes pouvant conduire à une explosion de l’infection dans des colonies de chauve-souris. Elle est également co-coordinatrice, avec l’Institut Pasteur de Tunis, du programme européen RABMEDCONTROL (voir fiche en annexe), qui comprend un volet d’étude sur les chauves-souris : il s’agit ici d’analyser les voies de migration de ces animaux entre l’Afrique et l’Europe, à travers différents points d’étude (Espagne, Maroc, Tunisie, Sicile et Calabre en Italie, Egypte), et la circulation parallèle des lyssavirus, en vue de comprendre l’épidémiologie de ces virus.