Les Chiroptères adaptent leur vitesse en vol grâce à des récepteurs tactiles associés aux poils qui recouvrent leurs ailes.

Et si les chauves-souris n’utilisaient pas que l‘écholocation par ultrasons pour se diriger en vol ? C’est ce que suggèrent les travaux de Susanne Sterbing-D’Angelo et ses collègues de l’Université du Maryland et de l’Université de l’Ohio, aux États-Unis. Selon eux, les Chiroptères contrôleraient aussi leur vol grâce à des informations sur les flux d’air captées par l’intermédiaire de… leurs poils.

Les ailes des chauves-souris sont recouvertes de minuscules poils (100 à 600 micromètres de longueur, 0,2 à 0,9 micromètre de diamètre), dont on ne connaissait pas la fonction. Les biologistes ont montré que lorsqu’ils sont stimulés par un flux d’air, les récepteurs tactiles associés à ces poils, en particulier ceux situés sur le bord de fuite de l’aile (le bord arrière, où les flux d’air se rejoignent après avoir glissé sur et sous l’aile), activent des neurones du cortex somato-sensoriel primaire, une zone du cerveau qui code les informations liées au toucher.

Ils ont implanté des électrodes dans le cerveau de chauves-souris Eptesicus fuscus – des chauves-souris insectivores proches de notre sérotine commune –, dont ils avaient fixé la tête et les ailes à une table anti-vibrations. Ils ont alors envoyé sur les animaux des bouffées d’air juste assez fortes pour perturber les poils (il s’agissait d’éviter une puissance qui aurait activé les récepteurs du toucher associés à la membrane de l’aile elle-même). L’expérience a été effectuée avant, puis après épilation : après épilation, les neurones du cortex somato-sensoriel primaire n’étaient plus activés.

En outre, les chauves-souris se comportaient différemment en vol, avant ou après épilation : dans une forêt artificielle créée par les chercheurs, elles avaient été entraînées à voler et à capturer des vers de farine suspendus à un fil. En comparant leurs trajectoires sur une dizaine de vols avant et après épilation des poils ventraux et dorsaux des ailes dans la région du bord de fuite (ainsi que des poils ventraux de la queue), les biologistes se sont aperçus que les chiroptères accéléraient et prenaient des virages plus grands après épilation. Une expérience similaire avec de petites chauves-souris frugivores, les Carollia perspicillata, récompensées par une banane, a donné le même résultat.

Selon les auteurs, les poils informeraient les chauves-souris sur leur vitesse de vol – une information particulièrement utile à basse vitesse : comme les avions, les chauves-souris risquent de s’écraser au-dessous d’une certaine vitesse. Lorsque leur vitesse est trop faible  – ou lorsqu’elles sont épilées –, les chauves-souris ne reçoivent plus d’information sensorielle de leurs poils et, en réponse, augmentent leur vitesse, comme pour prévenir un éventuel décrochage.

Cette découverte aurait certainement fait sourire le naturaliste français Georges Cuvier (1769-1832). Au début du XIXème siècle, plus d’un siècle avant la découverte de l’écholocalisation, plusieurs savants étaient convaincus du rôle principal de l’ouïe dans le vol des chauves-souris suite aux expériences du naturaliste italien Lazzaro Spallanzani (1729-1799) et du Suisse Louis Jurine (1751-1819). Spallanzani avait observé que même avec les yeux crevés et les extrémités du corps recouvertes de vernis, l’animal se repérait en vol, et Jurine avait montré que si on lui bouchait complètement les oreilles, la chauve-souris n’évitait plus les obstacles. Mais Cuvier avait toujours refusé cette interprétation, persuadé que la chauve-souris se repérait en palpant l’air interposé entre elle et les obstacles et en appréciant la manière dont il parcourait la membrane de ses ailes. Si l’écholocalisation reste le principal mode de repérage des Chiroptères, Cuvier n’avait finalement pas complètement tort…


Réf. : Pour La Science, Chauves-souris : un vol au poil, Cordonnier MN, 06/2011